Chapitre 17
La terre craquait sous les bottes du garçon à chacun de ses pas, et il était presque sûr qu’il marchait sur des ossements. Même si l’herbe et les buissons avaient recouvert une bonne partie des environs, on pouvait voir encore de nombreuses traces des horribles festins qui s’étaient déroulés là. Et puis, la présence d’herbe ne suffisait pas à prouver que le terrier était abandonné : on était à la fin du printemps, après tout !
Gill éprouva de nouveau les sensations qu’il avait eues en attrapant le moineau. Cet instinct qui semblait décupler ses réflexes, son ouïe, sa vue… Toutes les douleurs de son corps disparurent pour se fondre en une chaleur agréable, véritable source de force et d’énergie. Il se sentait un peu comme… comme un chat en pleine santé. Vif et vigilant.
A cinq mètres du tunnel, son œil acéré capta soudain un éclat de lumière sous une touffe de fougères. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître et déterrer une rapière à fine lame, qu’il brandit comme un trophée en direction de ses compagnons.
— Continue ! lança Menesis. Va voir dans le trou ! Déçu par cette indifférence, Gill fit deux pas de plus avant de se figer comme une statue. Il dressa l’oreille quelques instants, puis revint prestement vers les autres.
— Il y a quelque chose dans le terrier, chuchota-t-il d’une voix tendue. J’ai entendu bouger !
— Trouillard ! Tu raconterais n’importe quoi pour ne pas y aller, l’accusa Cork. Tu n’as rien entendu du tout ; tu étais trop loin !
— Je jure que c’est vrai ! se fâcha le garçon. Menesis, croyez-moi ! Nous ne devons pas rester ici !
— Je vais aller voir moi-même, décida le guerrier. Si tu as menti, je te promets que tu le regretteras !
— Chut, doucement ! implora le pauvre Gill. Revenez ! Mais Cork n’écouta pas ces conseils et se rendit à pas lourds à l’endroit exact où le garçon se tenait auparavant.
— Je n’entends rien du tout, clama le guerrier. Tu te moques de nous !
— Mais je l’entends encore, moi ! s’emporta l’accusé. Comment pouvez-vous être aussi sourd !
Il se raidit soudain, surpris par un changement dans l’atmosphère. Puis son visage perdit toute couleur.
— Il arrive ! annonça-t-il paniqué. Le monstre arrive ! Sans attendre, Gill commença à courir en direction du fleuve. Son intuition l’avertissait qu’il était inutile d’essayer de combattre. Trois secondes après, il entendit les hurlements horrifiés de Cork et de Menesis, mais n’osa prendre le temps de se retourner. La seule chose à faire était de courir, et de courir très vite ! Ses compagnons venaient aussi de le comprendre, car le garçon entendit bientôt le bruit d’une cavalcade effrénée derrière lui. Et plus loin encore, amplifié par l’écho des parois de la tranchée, résonnait l’horrible fracas de la poursuite du monstre. Un mélange de stridulations de sauterelle et de sifflements de serpent, accompagné du roulement rapide de plusieurs dizaines de pattes en action.
Gill portait toujours la rapière à sa ceinture, mais il ne voulait l’utiliser qu’en dernier recours. Elle n’avait pu sauver son ancien propriétaire, de toute façon ! La main du garçon caressa pourtant la poignée de l’arme quand il comprit que le monstre se rapprochait. A trois contre un, avaient-ils une chance de vaincre ? Non ! Pas avec si peu de moyens. Il fallait trouver une solution, et sans tarder !
— Grimpez ! ordonna soudain le garçon en se lançant lui-même à l’assaut d’une paroi.
Dès le début de l’ascension, Gill s’étonna de la facilité avec laquelle il se hissait d’appui en appui. Bien que ce ne fut pas le moment, l’idée le traversa qu’il aurait été incapable d’une telle chose, avant… Il n’était même pas essoufflé en parvenant au sommet de la tranchée. L’air faillit cependant lui manquer quand il s’aperçut que Cork et Menesis avaient poursuivi droit devant eux… à la différence du monstre, qui grimpait, lui, dans sa direction !